Pourquoi réformer les EHPAD est si difficile ?
Si vous ne vivez pas dans une grotte, vous avez forcément entendu parler, voire subi tous les développements de l’affaire Orpéa suite à l’enquête de Victor Castanet dans les « Fossoyeurs ».
Auditions devant le Sénat, devant l’Assemblée Nationale, tribunes en tous genres de tous les acteurs de la gérontologie…
Les politiques semblent enfin prendre conscience, ou simplement connaissance, des difficultés en EHPAD.
Pour autant, où sont les propositions concrètes ? Pourquoi est-il si difficile de réformer ce système de prise en charge de la dépendance des âgés ?
Je vous propose quelques éléments de réflexion…
Un EHPAD, qu’est-ce que c’est, sémantiquement parlant?
Faisons un peu d’analyse de texte, en partant de cet acronyme qui n’en est finalement plus un.
Ouvrons donc un dictionnaire :
Etablissement : Entreprise, usine, maison de commerce d’une certaine importance. Le Larousse propose le terme « Maison » comme synonyme.
Hébergement: action d’héberger
Héberger : Donner un logement provisoire à quelqu’un, l’accueillir provisoirement
Personnes: Être humain, sans distinction de sexe
Agées : Qui a déjà un certain âge, vieux
Dépendantes: Qui est dans un état de dépendance matérielle ou psychologique, qui n’a pas son autonomie ; soumis ; Se dit de quelqu’un, notamment d’un malade ou d’une personne âgée, qui ne peut plus assurer seul les conditions élémentaires de son existence
Donc si je résume, un EHPAD est une maison d’accueil temporaire pour des êtres humains dont l’âge et la perte d’autonomie conduisent à confier leur existence à d’autres. J’ai bon ?
Qu’est ce que n’est donc PAS un EHPAD ?
Ça ne peut pas être un hôpital, puisque nous ne sommes pas dans le logement, le quotidien
ça n’est pas non plus le domicile, puisque l’accueil y est temporaire.
Qu’est ce que ne précise pas le terme EHPAD ?
Il n’est pas question de soin.
Il n’est pas question des aidants
Il n’est pas question du pouvoir d’agir des résidents.
Vous commencez à cerner la difficulté ?
Nous, Français, aimons avoir le mot juste, celui qui va décrire parfaitement notre pensée, ou l’objet dont on parle. Celui qui va faire comprendre à notre interlocuteur où nous voulons en venir, la seule interprétation possible de ce bon terme.
Quand on parle d’EHPAD, on voit flou. Dans tous les sens du (bon) terme.
Et sincèrement, je pense qu’une grande partie du problème prend sa naissance ici.
Personne ne sait définir ce qu’est un EHPAD. Moi la première.
Donc comment pourrions-nous réformer, améliorer, faire évoluer quelque chose dont les bases sont-elles mêmes variables selon les personnes, les lieux, les historiques de chacun, les interprétations que nous pouvons en tirer, les espérances que nous y projetons ?
Un sérieux travail de définition de ce qu’est l’EHPAD est à mener. De là, pourront être déclinés buts, objectifs, moyens, acteurs etc…
Sortons de la linguistique et passons aux faits.
Entrons dans un « EHPAD » – je le mets donc entre guillemets, en attendant un autre terme plus juste- .
Que voyons-nous ? Des chambres, des espaces communs, des espaces accessibles à tous, d’autres interdits, des bureaux, des salles à manger, des salles de soin…
Qui croisons-nous ? Des personnes âgées, des proches de résidents, des agents en blouse, des agents en civil, des agents d’entretien, des médecins…
A quelles activités assistons-nous ? A des toilettes, des animations, des soins, des temps de sieste, des balades dans le jardin, des séances de kiné, des câlins aux animaux de la maison, à des disputes, à des rires…
Voilà, un « EHPAD », c’est ça : un gloubi-boulga de vie dans l’écosystème particulier de la perte d’autonomie.
Un « EHPAD », c’est un lieu de vie, un lieu de soin et un lieu de travail.
Tant que ces 3 domaines n’auront pas trouvé leur définition commune, il sera difficile de les faire converger vers un même but pour ce lieu qu’est l’EHPAD.
Pour terminer cet article qui finalement ouvre bien davantage d’interrogations que de réponses, je me permets une simple proposition.
S’il est nécessaire d’avoir un capitaine à la tête du navire, les décisions qu’il prend doivent toujours tenir compte des retours de son équipage et des évènements qu’ils subissent. Ainsi, si la vigie lui indique un récif à droite, décision sera prise de virer à gauche. Si le cuisinier lui indique la fin des stocks, le ravitaillement s’imposera. Si une épidémie de gastro-entérite (sortons un peu du COVID, vous voulez bien) se déclare, l’isolement des malades pourra être décidé.
Bref, vous voyez bien où je veux en venir : à mon sens c’est la gouvernance même des EHPAD qui doit être revue. Un lieu où gravitent autant d’acteurs différents, avec des objectifs également différents – pour le résident, il s’agit d’être simplement bien, pour l’agent, de faire bien son travail, pour la direction, de rentrer dans son budget – impose un système décisionnel partagé. C’est aussi simple et difficile à la fois.
Simple car logique.
Difficile car à l’opposé de ce qui se pratique majoritairement. Car cela remet en cause la hiérarchie pyramidale et le processus décisionnel habituel. Parce que cela impose quelque chose de nouveau.
Evidemment, je ne parle pas de Conseil de la Vie Sociale, qui est à ce jour un simple organe consultatif, non.
Je parle de vrai organe décisionnel, avec processus de prise de décision et de gestion de projet participatifs.
Qui se lance ?