Je profite d’une sortie de la ministre des solidarités et la famille pour aborder un sujet qui me tient à cœur et que j’aborde dans mes accompagnements.
Aurore Bergé a dit « Le retour de l’autorité partout dans notre pays est une priorité absolue »
Je suis allée chercher la définition d’autorité : « Droit de commander, d’imposer l’obéissance ».
Et là, tilt, ça fait écho à certains de mes accompagnements dans le cadre de conduite du changement en établissement médico-social.
Dans les faits, « imposer » signifie qu’une personne fait porter sa décision à une autre. Voire à plein d’autres.
Dans un collectif, quand une décision qui impactera tous les acteurs de manière individuelle doit être prise, elle ne sera pas suivie de la même manière selon les impacts individuels. Les intérêts en jeu sont aussi nombreux que les présents le jour de la décision. (On ne parle même pas des absents qui pour coup n’ont même pas leur mot à dire).
Il est impossible de demander la même implication suite à une décision à chacun des membres du collectifs.
Exemple que je donne dans mes formations et que j’utilise en jeu de rôle : un EHPAD veut devenir un EHPAD plus écolo.
Autour de la table : directeur, maire, représentant des résidents, représentant des familles, représentant du personnel, jardinier, équipe technique…
Sur le principe, tous les acteurs autour de la table sont ok pour « sauver la planète ».
Tout le monde sourit.
L’idée du directeur est de commencer par végétaliser les alentours de l’EHPAD en faisant un parc arboré, utilisable par tous : résidents, familles, agents.
Sur le principe, là encore, tout le monde est ok. Le jardinier sourit un peu moins déjà. Mais ça passe.
Puis le directeur expose quelques impacts : il faut supprimer 20 places du parking des employés pour faire cet espace.
Et là autant vous dire que ça part dans tous les sens. Et à chaque fois que je propose cet exercice, je découvre de nouveaux points de vue que je n’avais pas cerné les fois précédentes.
C’est là où la question du processus décisionnel est importante.
Il existe plusieurs moyens de prendre une décision. Justes et injustes.
Je me risque à un classement, de la plus injuste à la plus juste.
- Pour moi, la plus injuste, est le vote à la majorité. Cela signifie que la décision à prendre nie les impacts pour ceux qui ont voté contre. C’est encore vécu de manière plus injuste quand on vient reprocher à ceux qui ont voté contre de ne pas être assez engagés. L’aide-soignante qui doit désormais venir en bus parce qu’elle n’a plus de place de parking à l’EHPAD, doit se lever plus tôt et payer davantage de périscolaire pour ses enfants aura à mon sens toute légitimité pour ne pas vanter les mérites de l’EHPAD écolo.
C’est le cas où une décision est imposée. - Ensuite vient le tirage au sort. Dans ce cas, le hasard va répartir les impacts sur les uns et les autres. C’est à mon sens moins injuste qu’un vote puisque la décision n’est pas imposée par un groupe sur un autre. On ne peut reprocher à l’agent technique un peu fatigué d’être soulagé que le hasard (dans le cas où le « non au parc arboré » aurait été tiré au sort) ait finalement fait abandonner le projet, lui qui est déjà dépassé par tout le travail à faire alors que le 2ème poste d’agent technique ne trouve pas preneur…
- Ensuite vient ce qui représente à mon sens le meilleur moyen d’avancer collectivement : la décision par consentement. A l’inverse du consensus (« tout le monde est d’accord »), ici, personne n’est contre. Et c’est là toute la nuance. Cela signifie que les impacts de la décision collective auront été analysés et traités en amont pour que chacun y trouve un intérêt sans perte. C’est mettre en place du covoiturage ou une navette pour l’aide-soignante, ou augmenter la rémunération dans l’offre d’emploi d’un 2nd agent technique. Ainsi les impacts personnels ne viendront plus parasiter la mise en place de la décision prise collectivement.
- Enfin, celle qui serait la plus juste, mais qui est également une utopie, est la décision au consensus. Cela signifie que la décision collective est celle de chacune des individualités. Et c’est impossible. Parce que chacun à ses prismes, son expérience, son histoire qui fait que la décision collective aura un intérêt individuel différent. C’est pouvoir se promener au vert avec les petits-enfants pour une résidente. C’est engager une démarche écolo-managériale pour les directeurs. C’est avoir des résidents plus apaisés pour certains soignants. C’est obtenir une publicité positive de son EHPAD public par le maire.
La décision par consensus est impossible.
Qu’en retenir ?
Que le processus décisionnel par le travail en amont de chaque décision est le facteur de réussite de chaque projet collectif.
Oui, il paraît plus simple et plus rapide d’imposer. Oui, c’est plus rapide à court terme. Mais les effets pervers arrivent dans la foulée. L’agent technique délaissera la panne d’ascenseur parce qu’il doit tailler les rosiers. L’aide-soignante se mettra en arrêt maladie, épuisée par les trajets et en difficulté financière. Les agents se désinvestiront du collectif car ne se sentent pas écoutés. Le dialogue entre les acteurs est biaisé.
Je pourrais pousser l’analyse plus loin en fouillant pourquoi en 2023 l’idée de devoir « imposer » et « faire autorité » est problématique, mais je risque de sortir du champ managérial et ce n’est pas le lieu ici.
Je terminerai sur un constat que je fais au fil de mes accompagnements et recherches : les cadres et manageurs qui engagent une démarche participative dans leurs établissements ont ceux qui ont le moins de turn-over de personnel. Une meilleure qualité de vie au travail. Une communication saine entre tous. Avec toutes les conséquences positives sur le bien-être des résidents et les finances de l’établissement que cela entraîne.
Cela impose simplement de savoir écouter chaque personne concernée par la décision collective à prendre. Heureusement, en 2023, on a plein d’outils pour ça 😉