30/04/2024 admin

Refus alimentaire chez la personne âgée : et le consentement alors ?

Il y a quelques mois, lors d’une discussion avec une connaissance, j’entends la fierté de cette dernière quand elle me raconte comment ses cousins réveillent leur mère en fin de vie à l’aide d’un gant froid sur la peau pour qu’elle consente à ouvrir la bouche pour se nourrir.
Je me rappelle le choc en entendant ça.
Quelle violence pour cette femme âgée !
Devant ma réponse du style « je trouve ça totalement maltraitant ! Cette femme manifeste clairement son refus de manger, sa volonté de laisser son corps s’éteindre, et ses enfants, non seulement ne l’écoutent pas mais en plus lui infligent leur propre volonté ! », je n’ai reçu que de l’incrédulité en retour dans les yeux de mon interlocutrice.

Il y a quelques semaines, j’accepte de suivre un mémoire d’orthophonie sur le refus alimentaire de la personne âgée.
Dans la foulée, lors d’une formation dysphagie auprès de soignants d’EHPAD, on m’interpelle sur la nécessité de créer un comité éthique autour de l’alimentation.
Enfin, je suis sollicitée par Aline Victor pour apporter mon regard lors d’un webinaire sur l’alimentation mixée, et notamment sur la question éthique.

Clairement, cela doit signifier que je dois me pencher sur le sujet.

Aujourd’hui, je forme des soignants, des directions d’EHPAD à la prévention des dysphagies et indirectement au respect alimentaire des personnes âgées.

Je constate parfois les stratégies utilisées ici et là pour nourrir, hydrater des personnes en fin de vie, ou atteintes de maladies neuro-dégénératives.

Mais à quel moment nourrir une personne doit résulter d’une stratégie ?

Si on pose les faits : une personne, quel que soit son état, manifeste un refus alimentaire, soit consciemment (se tourne, réduit ses prises alimentaires, s’oppose physiquement…) soit par une altération de la conscience (somnolence, comportements déviants …).
Dans le premier cas, le refus est manifesté visiblement. Le souhait de ne pas manger est constatable.
Dans le second, il n’est visible que par les manifestations corporelles, et non par l’affirmation de la volonté de la personne. C’est le cas qui interroge de manière éthique.

Quand une personne va bien, elle se nourrit. Seule.
Quand elle devient dépendante, son « pouvoir alimentaire » est parfois délégué : courses alimentaires, choix des repas, préparation, geste pour se nourrir.
Déjà, la volonté de la personne est dégradée, et de manière accentuée lors d’entrée en établissement ou de soutien à domicile.
Tout l’enjeu à ce moment-là se situe sur le consentement de la personne à ces aides. Jusqu’où garde-t-elle la main ? A quel moment sa volonté est transférée vers celle des autres ?
Quand arrive-t-il, ce moment où ce sont les aides à domicile, les enfants, les professionnels qui, insidieusement et de manière involontaire la plupart du temps, décident à la place de la personne elle-même de sa manière de s’alimenter ?

En ces temps de discussions autour de la fin de vie, il me paraît indispensable de s’interroger sur la question du respect du droit à la mort avant toute chose.
Heureusement, ces récits de « forçage » se font rares autour de moi.
Mais quand des professionnels me demandent « comment on sait quand on doit arrêter de nourrir ? », ma réponse est « faites-vous confiance, faites-lui confiance ».
Sauf que finalement, avec des professionnels, c’est presque simple, ils sont formés à la fin de vie. D’ailleurs, souvent, quand arrivent les derniers moments, les personnes sont choyées à coup d’alimentation-plaisir ( à quand une alimentation plaisir tout le temps ? Autre débat, n’est-il pas 😉 )

Les situations sont bien plus ardues quand ce sont les proches qui sont les aidants, ou quand les professionnels doivent jongler avec les injonctions des proches.
Et là, ce sont tous les enjeux éthiques et les représentations personnelles de chacun qui viennent se percuter. Un enfant qui nourrit de force sa mère mourante, pour qui le fait-il ? Il y a de grandes chances qu’il le fasse non pas pour sa mère, mais pour lui, pour des raisons qui lui appartiennent.
Alors en établissement, quand ce sont les prismes des proches couplés à ceux des soignants saupoudrés de ceux de la politique managériale qui parlent, c’est la personne en fin de vie qui trinque.

Le consentement, on en parle pour les liens affectifs, pour la sexualité, pour le droit à l’image… mais bien trop peu quand il s’agit d’alimentation. C’est pourtant un besoin essentiel, vital.
Et encore je ne parle même pas de ces personnes âgées qu’on tente d’hydrater à coup d’eau bien trop épaissie sans goût. Si ce sujet mériterait un article à part entière, la question du consentement se pose également.

Si l’on part du principe, comme dit plus haut, que la personne est maître de son pouvoir alimentaire, lors de l’accompagnement par autrui, il s’agit d’une délégation de pouvoir. Pouvoir qui va être repris par la personne quand arrive la fin de vie. A nous, accompagnants, de simplement respecter l’intégrité et la dignité de la personne quand elle manifeste la volonté de s’en saisir à nouveau, quel que soit le moyen.

Il n’existe pas de consentement à la vie. Nous naissons sans l’avoir demandé.
Peut-être pouvons-nous nous interroger sur l’existence d’un consentement à la mort.
Et du respect de ce dernier par l’entourage personnel et/ou professionnel.

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