Cela fait quelques mois maintenant qu’elle a intégré l’Unité de Vie Protégée de son EHPAD.
Même si Alzheimer progresse tout doucement, cela commençait à devenir dangereux quand elle s’approchait de l’escalier avec son fauteuil afin de discuter avec la secrétaire dans l’entrée.
Ma Mamie.
Ma Mamie, elle ne le sait pas, du moins elle ne le sait plus, mais elle m’apprend un truc à chaque fois que je la vois.
Pour rappel, elle a une fille orthophoniste, et une petite-fille orthophoniste et gérontologue. Autant vous dire qu’elle est plutôt bien surveillée dans son évolution.
Sur le papier, j’ai plein de connaissances, j’ai lu plein de livres, fait plein de formations.
Sur le papier, je transmets mes connaissances, j’écris des livres et je donne des formations.
J’explique le rôle des sens, du lien, du contact, du regard, entre les gens, pour garder une communication optimale.
Y’avait manifestement un détail que j’avais oublié, et que Mamie, aussi Alzheimerisée qu’elle puisse être, est venue me rappeler.
Me voilà donc aller à l’EHPAD en compagnie de ma Maman pour un moment entre filles. Nous avons besoin de transmissions familiales en ce moment.
Ma grand-mère est super forte, elle fait illusion.
Elle est capable de choper des détails dans ce qu’elle voit pour tenir une conversation sans arriver à dire qu’elle n’a absolument aucune idée de l’identité de la personne à laquelle elle s’adresse.
Personnellement, ça m’est égal qu’elle m’identifie comme sa petite-fille ou pas. Ce qui m’importe c’est qu’elle soit heureuse.
Mais ce jour-là, Maman lui pose LA question.
Au cours de notre conversation, elle lui demande si elle sait qui je suis.
Et Mamie, me regarde attentivement, m’observe et répond :
« Non, je ne me rappelle plus qui tu es. »
Puis elle sourit et elle ajoute :
« Mais je reconnais ta voix »
Feu d’artifice dans mon petit cœur.
Ma voix.
Au-delà du fait que pour une chanteuse et musicienne, savoir que sa voix parvient à l’hippocampe de sa Mamie est une bénédiction, ma chère grand-mère venait de me rappeler combien l’ouïe était importante.
Quand j’étais orthophoniste, pour travailler la mémoire, je m’attachais beaucoup au visuel pour stimuler la mémoire : images, dessins, écrits…
Les seuls moments où l’ouïe était sollicitée était en mode verbalisation.
Mais je n’avais pas pensé à la prosodie, au rythme, à la symphonie du phrasé.
La parole n’est pas que des mots, du sens.
Elle est une mélodie.
C’est une musique.
L’apprentissage que ma Mamie m’a offert ce jour-là, c’est me rappeler que la mémoire ne s’appuie pas que sur le visuel, le paraître.
L’auditif permet d’ancrer autant voire davantage.
Certainement en lien avec les émotions ressenties quand on est sensible à la musicalité.
Et si j’avais à repratiquer l’orthophonie aujourd’hui, je m’attacherais à développer cet aspect artistique du langage.
Sortir du verbal pour entrer dans le non-verbal.
Ajouter le canal musical dans la thérapie orthophonique de la communication.
Jouer une mélodie pour donner du sens aux mots.