Il paraît que c’est la journée nationale des aidants.
Ces êtres formidables encensés.
Ces personnes dévouées.
Derrière ces termes, la réalité est parfois, souvent même, bien moins sacrée.
Les adjectifs que j’entends ici et là par celles et ceux qui accompagnent des personnes dont l’autonomie est mise à mal par un handicap sont plutôt du style « épuisés, perdus, délaissés, abandonnés, oubliés ».
Voilà, ça, c’est pour le contexte du jour.
Cette semaine, un collègue m’a expliqué qu’après s’être cassé le bras, on lui a proposé de faire son auto-rééducation, au lieu de le laisser partir avec son ordonnance de kinésithérapie. Les gestes lui avaient été montrés par le médecin, et c’est étonné mais confiant que mon collègue est reparti chez lui.
Quel est le lien avec les aidants me demanderez-vous ?
Mon collègue s’est auto-aidé, guidé par un professionnel.
Dans le cas présent, hormis quelques conseils, cela n’a pas nécessité une logistique folle, ni l’intervention d’une tierce personne.
Evidemment, on parle ici d’un « simple » bras cassé, j’en suis consciente.
Mais le concept peut être réfléchi à travers un regard bien plus sociétal.
Quand on n’est pas en capacité de s’auto-aider.
Quand cela nécessite l’intervention d’une autre personne.
Je classe pour ma part les aidants en 3 catégories :
- les aidants professionnels : ceux dont c’est le travail, qui ont reçu une formation en ce sens, et qui sont rémunérés pour cela. Ceux que la société met, par ce statut, à disposition des personnes qui le nécessitent. Cela pourrait se limiter au médical. Mais c’est à mes yeux bien davantage, le « handicap » s’arrêtant rarement aux portes de l’hôpital. Ce sont pour moi évidemment tous les soignants du corps et de l’esprit, mais également les travailleurs sociaux qui se battent pour trouver des solutions, les artisans techniques qui permettent à une personne âgée de se sentir en sécurité chez elle etc …
- Les aidants souvent dits comme « naturels » : ce sont les proches, les parents, les enfants. Ceux qui sont de fait happés dans la spirale de la dépendance d’un autre. C’est la mère d’un enfant poly-handicapé, c’est la fille de cette dame de 98 ans qui ne peut plus sortir de chez elle, c’est le frère d’une femme dépressive …
Ce sont ces aidants qui sont « célébrés » aujourd’hui. Les saints. Les dévoués.
Là encore, cette notion d’aidant naturel est bien plus large pour moi. J’y vois également le camarade de classe de cet enfant poly-handicapé qui l’aide à mettre sont cartable derrière son fauteuil, la voisine qui surveille que la dame de 98 ans ouvre bien ses volets, ou encore le bénévole de l’association qui offre des temps off à cette femme dépressive. - Ce qui m’amène à la troisième catégorie : tout le monde. Nous sommes tous les aidants de quelqu’un, qu’on le veuille ou non, qu’on soit payé pour ou non, qu’on nous encense ou nous oublie pour ça. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai aidé des personnes un peu trop petites à attraper le pot de moutarde en haut du rayon au supermarché, la nature m’ayant gratifiée d’une taille le permettant. Je suis aidante, même si c’est à un instant T, envers des personnes que je ne reverrai jamais. Et ça, je suis convaincue que ça parle à beaucoup de personnes.
Ces 3 catégories sont imbriquées.
Nous faisons tous partie de la dernière inconsciemment, nous entrons dans la seconde sans le choisir, et nous décidons parfois d’appartenir à la première.
Les mots ont un sens, et peuvent parfois conduire à des œillères.
Repenser la définition derrière, et la réalité bien plus large qu’elle englobe pourrait amener à un autre paradigme de l’accompagnement.
Cela est déjà en cours : cafés des aidants qui permettent d’échanger des astuces, reconnaissance du statut d’aidant avec des droits dédiés, développement des concepts de l’expertise patient et de l’éducation thérapeutique, habitats partagés entre personnes dites « valides » et personnes en situation de handicap …
Quel est le rapport avec mon bras cassé ?
Et bien imaginons que des gestes n’aient pas pu être fait par mon collègue seul pour s’auto-rééduquer, s’auto-aider.
Dans un monde médico-social où la conception d’aide par autrui est large, mon collègue aurait pu venir avec un proche le souhaitant pour apprendre les gestes ou il aurait pu, grâce à une liste fournie par son médecin, contacter une association qui développe l’entraide médicale.
Cela ouvre le champ des possibles, et ce terme d’aidant qui aujourd’hui renferme une réalité bien cloisonnée, trouve une saveur bien moins violente.Simplement parce que nous sommes tous aidants, nous partageons la responsabilité de l’accompagnement à l’échelle de la société.
( Bon, et accessoirement, ça ouvre également des perspectives en terme de solutions pour pallier la désertification médicale, ou les burn-out professionnels, mais c’est un autre sujet… quoique … ).