14/10/2022 admin

Pourquoi « faire de l’intergénérationnel » est une illusion ? Une histoire de foot et de fête des voisins

Je sais, je suis volontairement polémique en annonçant ça de go, surtout à l’heure de cette mode de « faire de l’intergénérationnel ». Construction de crèches dans des EHPAD, ateliers collectifs classes scolaires/club des aînés ou 1ère ligne inscrite dans le dessin retraçant le déroulé du CNR Bien vieillir, et j’en passe…

J’interviens ici et là auprès de différents acteurs du milieu gérontologique, et notamment des CCAS. Je ne compte plus les annonces de « il faut recréer du lien entre les gens en faisant de l’intergénérationnel ! » Et vas-y que ça part en prévision de visite de l’ EHPAD communal par les CM1 de Mme Durand.
Je sais, je suis un peu amère et cliché. Mais allons-y. Voyons ce qu’il se passe en vrai.
Pourquoi cette idée de visite ? Parce qu’il faut faire de l’intergénérationnel pour recréer du lien entre les générations pardi ! Et que cette sortie scolaire aura pour but d’ouvrir les yeux des bambins sur la vieillesse et la dépendance, sur la bienveillance et l’attention que l’on doit porter à nos aînés (celles et ceux qui me connaissent auront noté l’ironie que j’utilise volontairement avec le terme « nos ») et que forcément, en rentrant chez eux, il sera évident que lors du repas dominical, le regard de Jade et Louis envers grand-papi sera fondamentalement transformé et qu’ils viendront d’eux-mêmes porter la cuillère à la bouche du patriarche.
Je suis cynique ? Absolument. Bien sûr que cela peut fonctionner pour certains enfants. Bien sûr que cela va faire sourire quelques résidents de l’EHPAD. Et après, on en fait quoi ? Bonne question…

Je vais tenter une comparaison un peu hasardeuse pour tâcher de transposer ce concept d’intergénérationnel pour faire de l’intergénérationnel à un autre milieu, qui parlera à certains et certaines d’entre vous, j’en suis certaine : le foot.

Je suis stéphanoise.
Autant vous dire que je suis baignée depuis ma naissance dans la culture foot, les Verts, et la rivalité avec Lyon. Rivalité qui dépasse fortement le milieu du foot en Rhône-Alpes (pensée pour mes parents qui se sont faits lacérer la capote de leur 2CV verte en plein mois de février car ils avaient osé venir voir Bécaud en concert à Lyon le lendemain d’une victoire de l’ASSE et garer leur carrosse immatriculé 42 devant la Bourse du Travail).

Je ne vais pas revenir sur les tensions entre supporters de tous clubs, je n’y connais rien, je ne peux que constater l’impact que ça a sur ceux qui les subissent : les autres spectateurs, les commerçants qui se font caillasser, les forces de l’ordre qui doivent gérer les débordements, les familles qui ne peuvent plus assister à des événements sportifs sans crainte etc…

Mais quel est le rapport avec le schmilblick intergénérationnel ? j’y viens.
D’un côté les supporters de l’ASSE, de l’autre côté ceux de l’OL.
D’un côté les jeunes, de l’autre côté, les vieux.
Vous voyez où je veux en venir ?

Et bien imaginez que l’on transpose le raisonnement « il faut faire de l’intergénérationnel pour que tout le monde se parle et recréer du lien ».
Je vous propose donc de mettre dans une même pièce les Green Angels et les Bad Gones. Sans aucune volonté autre ( qu’ils se parlent, qu’ils trouvent des solutions pour stopper les violences, pour faire une fête du foot ou que sais-je) que de les confronter les uns aux autres. Et de laisser faire « la magie du lien ». Et on en reparle.

Evidemment, je pousse le raisonnement à l’extrême..
Evidemment que la plupart projets intergénérationnels sont pensés en amont.
Evidemment qu’il est louable de proposer des choses plutôt que de ne rien faire.
Evidemment que les visites scolaires à l’EHPAD peuvent (et c’est majoritairement le cas) intervenir dans le cadre d’un projet bien plus global comme parler de l’Histoire locale.

Mais c’est à mon sens penser à l’envers.

L’intergénérationnel est la conséquence d’un lien social renoué.

Et non l’inverse : ce n’est pas en provoquant l’intergénérationnel que l’on renoue durablement le lien.

Je vous partage un exemple pour illustrer cette idée, exemple apporté par un élu lors d’une formation que j’ai récemment donnée.
Après 2 ans de crise COVID et d’isolement des uns et des autres, la commune a souhaité proposer une fête des voisins. La volonté n’était pas du tout « faire de l’intergénérationnel », mais de simplement proposer aux habitants de se retrouver. Tous les habitants. Pour recréer du lien entre toutes et tous. Cette fête des voisins a été un succès total, et l’élu nous partageait le plaisir de voir les personnes âgées parler avec les jeunes. L’intergénérationnel s’est imposé. Sans que cela ne soit l’idée de départ.
Vouloir faire de l’intergénérationnel en confrontant une génération à l’autre simplement dans ce but-là est illusoire.
D’ailleurs, le projet global sur l’Histoire locale (cf plus haut) qui fait intervenir des personnes âgées auprès des élèves, n’est-il pas déjà dans la dynamique que je propose ? Avoir une thématique commune, travailler ensemble, apporter des regards différents, co-construire… Et là, hop, la magie du lien peut opérer !

La plupart des projets sont déjà intergénérationnels par nature mais n’en portent pas le nom : ateliers potagers à l’EHPAD, lectures à la bibliothèque…
Donc rien de nouveau sous le soleil, stoppons les effets d’annonces inutiles qui peuvent mettre une pression inutile et supplémentaire dans certains établissements ou communes, là où bon nombre d’actions sont déjà intergénérationnelles.

Moralité : arrêtons de forcer le lien intergénérationnel, entretenons simplement le lien humain.

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