Entre bien d’autres choses, je suis évaluatrice des ESSMS.
Cela signifie que je suis « mandatée » par la Haute Autorité de Santé pour vérifier que les établissements médico-sociaux respectent bien leurs engagements en termes de sécurité, de respect et de bientraitance envers les personnes accompagnées.
Cette casquette, je me suis posé la question de l’enlever.
Je me sens en désaccord entre le formalisme demandé aux professionnels et la réalité difficile de leur quotidien professionnel.
Il m’a été difficile un temps de gérer l’émotionnel, le mien et celui des autres, provoqué par ces temps souvent vus comme un contrôle, non seulement de leur travail, mais et surtout des valeurs humaines des personnes si engagées dans l’accompagnement des personnes vulnérables.
Je me rappelle de ce duo d’aides-soignantes en sueur, avec un classeur à la main, qui venait de « réviser » les bonnes pratiques juste avant leur discussion avec moi.
Je me souviens de ce moment de détresse de cette psychomotricienne quand elle m’a répondu « je ne sais pas » à une simple question.
Ou encore ces affirmations désabusées de cet infirmier à base de « on aimerait mais on n’a pas le temps ».
Evaluatrice, cela signifie être neutre. S’abstenir de tout conseil. Même si il suffirait d’un mot pour faire basculer l’évaluation et obtenir une étoile.
Non, cela signifie laisser les professionnels nous montrer ce qu’ils font et savent à un instant T.
J’ai voulu arrêter.
Non seulement pour cet aspect déshumanisé, mais également, on ne va pas se mentir, pour l’aspect rédactionnel et formel que cela me demande également à moi.
Et quand on me connaît, on sait que mettre des choses dans des cases, que ce soit des gens ou des mots, m’est difficile.
J’ai donc fait une pause de plusieurs mois.
J’ai pris du recul.
J’ai observé.
Je me suis observée.
Comme à chaque fin de cycle auquel on a volontairement mis un terme, il y a d’abord eu le soulagement. Ouf, plus d’émotions à ressentir, plus de rapport à remplir.
Les aspects négatifs se sont évaporés.
Puis peu à peu, encore une fois comme dans chaque « rupture », ce sont les aspects positifs qui sont remontés.
Parce que oui, il y en a.
La fierté de ce directeur d’avoir mené ce projet à terme et d’avoir embarqué tous ses professionnels avec lui.
La joie de ce résident de dire « j’adore être ici ! »
L’humilité de cette infirmière qui avait créé un espace dédié à l’accompagnement des personnes en fin de vie.
Toutes ces petites choses qui finalement sont à essaimer, ailleurs.
Entre temps, j’ai appris à gérer mon propre émotionnel, et à accueillir celui des autres.
J’ai appris à me positionner, à me respecter.
Et j’ai appris quelle était ma place.
J’ai donc finalement choisi de poursuivre les évaluations, à mon rythme.
Mais je reviens dans un autre état d’esprit.
Non plus pour « rapporter » des faits uniquement dans un document écrit.
Mais également et surtout pour transmettre des vécus, des ressentis, des expériences au travers de mes propres accompagnements évidemment mais également auprès des personnes responsables de ces « contrôles », les décideurs, les financeurs, ceux qui vérifient que l’argent est bien employé.
Mon rôle à moi, il est de transmettre les incohérences, les doutes, les peurs, l’impuissance, mais également les petits bonheurs, les grandes joies, la créativité, les réussites, l’innovation… que j’observe sur le terrain.
Transmettre de manière verticale, auprès des autorités.
Mais également de manière horizontale, auprès des autres établissements, des résidents, des familles.
Cela passe pour moi par une transparence et une sincérité auprès du cabinet qui m’emploie, des rédactions d’articles comme celui-ci mais également des accompagnements d’établissements à l’évaluation.
C’est ma petite nouveauté.
Aider les professionnels à préparer ces moments-clés dans leur établissement, se fédérer, apprendre à mettre en valeur leur savoir-faire et leur savoir-être.
Comprendre qu’une évaluation peut être une opportunité à rayonnement et impacts multiples : pour eux, pour leur établissement, mais également pour tout le secteur.
Et je me réjouis de cette nouvelle casquette !