La réaction, début du changement


J’étais invitée hier à animer une conférence sur le plaisir de manger, en compagnie d’Aline, diététicienne aussi engagée que moi.
Dans le public, des médecins d’EHPAD, des cadres de santé, des directions.
Aline est chargée d’apporter son expertise en nutrition, je suis là pour apporter mon regard éthique.

Assez vite, nous entrons dans le vif du sujet : perte de la liberté de choix alimentaire pour les résidents, dépossession de leurs volontés, absence de politique globale alimentaire dans les établissements, non respect du refus de manger …

Aline et moi avons exposé des faits.
Simplement.
Nous avons rappelé des données scientifiques comme « passer une personne en alimentation mixée accélère la perte du langage » ou « il existe des différences de besoins nutritionnels selon les personnes et leur poids »

Puis j’ai mis en lien ces données là avec la réalité des professionnels présents.
Début de la mise en pratique de la conduite du changement.

Je savais qu’en déclarant « qui sommes-nous pour décider de ce qu’une autre personne doit manger, et quand ? » ou alors « pourquoi passons-nous en alimentation plaisir uniquement lorsque la personne est dite en fin de vie, cela signifie que c’est une alimentation quoi avant ? », je ferais réagir.
C’est ok pour moi.
C’est mon travail.
Parce qu’un changement ne peut débuter qu’après une réaction.
Et je suis là pour ça.

Nous avions 1H30 pour initier un changement.
Au fil de nos interventions, je pouvais sentir l’énergie de la salle se charger.
Il y avait des acquiescements, des haussements de sourcils, des regards fuyants, des rires.
ça réagissait.
ça ne restait pas indifférent.
ça échangeait avec son voisin.
Là, j’ai compris qu’on avait tapé juste.

Confirmation au moment des questions avec le public.
Une personne confie qu’elle a été touchée personnellement par nos propos. Elle choisit de l’exprimer fortement, ça doit sortir. Elle expose un moment de souffrance dans son établissement. J’entends derrière ses paroles toute son émotion et son impuissance.
Son énergie en embarque d’autres, cela libère la parole.
Aline et moi écoutons.
Une autre personne expose qu’elle a ressenti que nous leur faisions la morale car elle ne sentait pas libre de faire ce qu’elle voulait dans son quotidien professionnel et personnel.
Nous écoutons encore.
Les réactions dans le public sont variées, certains approuvent d’autres non.
La parole se libère suite aux réactions.
Chacun y a pris quelque chose de différent, sur ce qui l’a touché personnellement.

Une autre personne du public a finalement clos le débat en nous remerciant d’avoir simplement énoncé une réalité qu’il est difficile de voir quand on a la tête dans le guidon. Et que finalement, un regard extérieur était nécessaire pour rappeler les éléments de base.

Oui, nous avons remué.
J’en suis consciente.
Il est parfois difficile d’entendre ce qu’on ne souhaite pas entendre.
Mais parfois il est nécessaire d’entendre ce qu’on a besoin d’entendre pour évoluer.
J’accepte de prendre ce « mauvais rôle », à moi de pondérer mes propos pour qu’ils restent dans la justesse.
J’accepte les réactions des uns et des autres, positives ou négatives, elles ne me sont pas destinées personnellement.
Elles sont nécessaires pour une prise de conscience individuelle.
Et initier un changement.

A la suite de la conférence, de nombreuses personnes sont venues nous dire qu’elles avaient beaucoup apprécié d’avoir été bousculées.
On nous a dit que ce n’était pas en les brossant dans le sens du poil qu’on pourrait faire bouger les choses.
Plusieurs médecins nous ont dit qu’ils allaient revoir toutes leurs prescriptions de mixés suite à la conférence.
D’autres ont énoncé qu’ils allaient revoir leurs postures éthiques ou leur moyen de communiquer avec leurs équipes.

La mission a été remplie.
Le changement, c’est maintenant comme dirait l’autre.

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